Les 3 règles d’or de la délégation

L’entreprise libérée se structure autour d’une dimension clé : la délégation. Comment utiliser cette technique clé de management de de manière à renforcer la créativité d’un collaborateur et/ou d’une équipe ?

La délégation passe par trois étapes successives : la fixation d’un objectif, la délégation proprement dite et le suivi de la délégation. Ces trois étapes doivent être considérées comme un tout cohérent sans quoi, la délégation se transforme en la définition d’une « to do » sans grand intérêt pour personne. Pire, elle augmente la démotivation des acteurs.

Le principe de la délégation efficace réside dans la définition du pourquoi de l’objectif (sa contextualisation, sa mise en perspective et la définition de sens) et le lâcher prise de la manière de l’atteindre. En procédant de la sorte, on permet au collaborateur de s’approprier l’objectif et de construire la solution.

La fixation d’un objectif

Nous sommes tous familiarisés avec la méthode SMART (Spécifique, Mesurable, Accessible, Réaliste et Temporel). Dans la pratique, rares sont ceux en mesure de définir un objectif réellement SMART. L’exemple typique d’un objectif non SMART est « Améliorer la qualité de service ». Ce n’est en rien un objectif spécifique, mesurable et temporel : améliore veut dire quoi ? Améliorer de combien ? Pour quand ? Il peut éventuellement être accessible et réaliste.

Le grand intérêt de la méthode SMART est de rendre l’objectif explicite.

« Augmenter la qualité de service de 15 % d’ici 3 mois » est un objectif plus précis mais pas encore SMART : il n’est pas suffisamment spécifique. En effet, que considère-t-on comme étant la qualité de service ? Est-ce réduire les plaintes clients ? Ou augmenter la rapidité de réaction ? Ou encore le taux de rétention des clients ? La réponse à ces questions permettra de définir ce qu’il faut mettre en œuvre.

Il est clair que définir un objectif demande du temps et la préparation de sa formulation ne doit pas être sous-estimée, sans quoi le reste de la délégation perd de son sens.

Pour s’aider à formuler l’objectif, il peut être intéressant de se poser une question préalable : que cherche-t-on et pourquoi ?

S’il faut être extrêmement précis dans la formulation de l’objectif, il ne faut pas être réducteur dans l’étendue possible de l’action. C’est toute la difficulté de la fixation de l’objectif : choisir un champ (scope) d’action clair. Par rapport à notre exemple, si l’amélioration de la qualité de service recherchée a pour but de contrecarrer une perte de clients, alors l’objectif pourrait être de réduire la perte de clients de 15 % d’ici 3 mois.

En se posant la question du contexte de l’objectif initial, on se rend compte que le champ d’action peut être plus large que ce à quoi on aurait pensé initialement.

Dès l’instant où l’objectif est correctement et clairement défini, le reste de la démarche de délégation est très simple : il suffit de respecter scrupuleusement quelques règles.

La délégation

La délégation efficace se fait lors d’un (dans certains cas deux) entretien(s) car plusieurs choses doivent être réalisées et testées avec le collaborateur.

Quelles sont ces étapes ?

  1. Annoncer l’objectif de manière neutre en le positionnant dans un contexte et un environnement global. Cela permet de contextualiser l’objectif et de lui donner du sens auprès du collaborateur.
  2. Poser une question ouverte simple : « comment atteindrais-tu cet objectif ? »
  3. Laisser le collaborateur exprimer sa stratégie d’actions et ne se focaliser, pour le manager, que sur la nécessité de se sentir suffisamment à l’aise par rapport à cette solution, même (surtout) si elle ne correspond pas à ce qu’on aurait fait. Durant cette étape, on est en droit de challenger la solution (« que fais-tu si la situation unetelle se produit ? ») et de formuler des propositions pour autant qu’elles le soient de manière neutre (« que penses-tu si on mène telle action ? »). Se positionner de manière neutre et comme challengeur donne une force importante au délégant : celle de sortir du cadre et de laisser la réaction s’exprimer ouvertement.
    Cette étape de formalisation du chemin permettant d’atteindre l’objectif peut nécessiter un temps de réflexion et la formalisation des étapes sous forme d’un plan d’actions.
  4. Poser la question d’implication dès que le plan d’actions est validé : « Puis-je compter sur toi pour atteindre l’objectif ? » Cette question, d’apparence anodine, ne l’est pas. C’est à ce moment précis que le collaborateur prend pleinement possession (psychologiquement et dans les faits) de l’objectif.
    Sa réponse est binaire :

    • Oui : tout va bien ! On est rassuré et le transfert de responsabilité vers le collaborateur est accepté et acté par les deux parties.
    • Non : il faut creuser les raisons du refus (par la question : pourquoi ?). Il est possible que l’on ne se soit pas rendu compte de difficultés (manque de temps, manque de confiance, incertitude, dangers ou risques, etc.). Si la situation peut paraître embarrassante, elle ne l’est absolument pas. Au contraire ! Elle permet de rendre explicite une difficulté qui aurait échappé au manager mais, éventuellement, aussi au collaborateur. Reste à la solutionner.
  5. Organiser le suivi car même si la manager a transféré son pouvoir d’action auprès de son collaborateur, il reste le « propriétaire » de l’objectif. C’est également une manière de montrer son intérêt par rapport à l’objectif et sa volonté d’aider son collaborateur. On définira quand on se verra et l’objectif de la revue. Si on veut rester dans la démarche explicite, on fixera la date, l’heure et l’endroit de la réunion.
  6. Laisser le collaborateur travailler. On ne rediscutera de l’objectif qu’au moment prévu ou si le collaborateur vient voir son manager ou si on a une information importante pouvant influencer son travail est connue entretemps.

Le suivi de la délégation

Dernière phase du processus de délégation, le suivi est une manière explicite et rituelle, pour le manager, de rester impliquer dans l’atteinte de l’objectif sans être à la manœuvre.

Plus important, il permet au collaborateur de prendre de la distance par rapport à son travail et d’identifier des difficultés présentes ou potentielles.

Enfin, étant donné que tout un chacun se plaint de manque de temps, le fait d’instituer un suivi formalisé dont la fréquence est à convenir, est une manière de réserver un moment spécifique pour faire un statut d’avancement du plan d’actions convenu.

Le suivi se déroule en deux temps : l’état d’avancement du travail d’une part, l’organisation du futur d’autre part. Dans les deux cas, on essayera d’identifier le besoin d’aide du collaborateur.

Le suivi doit respecter également quelques étapes successives pour permettre de garder une relation constructive entre le manager et son collaborateur et renforcer la créativité :

  1. Tenir la réunion à la date et à l’heure prévues. Cela paraît évident, mais il est fréquent d’entrer dans la démarche informelle : le « nous nous voyons dans la journée … » est la meilleure manière de ne pas se voir car il y aura toujours quelque chose de plus urgent ou important à faire.
  2. Démarrer la discussion par une question ouverte (« Où en es-tu dans ton travail ? » ou « Comment se passent les choses ? » par exemples) permettant au collaborateur de s’exprimer.
  3. Identifier les points de blocage et le besoin d’aide.
  4. Déterminer les étapes à venir sur base de ce qui a été convenu dans le plan d’actions.
  5. Déterminer le besoin d’aide pour le futur.
  6. Fixer la date et l’heure de la prochaine revue.

Lorsque le rituel est respecté, ce type de suivi est assez court. Dans la pratique, il faut compter environ 30 minutes.

L’avantage de cette démarche est de renforcer la collaboration constructive entre le manager et son collaborateur qui y trouvera une excellente occasion de prendre de la hauteur par rapport au quotidien et de ne pas avoir de nez dans le guidon. Le manager devient alors un coach.

Les pièges à éviter

Pour que la démarche se déroule positivement, il est fondamental que le manager évite de tomber dans certains pièges :

  1. Définir un objectif vague et mal formulé. La conséquence d’un objectif mal formulé est de perdre du temps, de développer une communication inefficace parce que chacun comprend l’objectif à sa manière et en final d’entrer dans un conflit ou, à tout le moins, de vivre des tensions inutiles.
  2. Se focaliser sur une mauvaise préparation de la délégation en se concentrant sur la manière d’atteindre l’objectif. Un positionnement clair des responsabilités est fondamental. Celui du manager est de définir un objectif clair, de s’assurer que son collaborateur est à l’aise par rapport aux actions à mener en challengeant les propositions et de s’assurer du suivi pour pouvoir, si nécessaire, apporter son support. Le rôle du collaborateur est de construire un plan d’actions, de s’assurer que les conditions sont réunies pour atteindre l’objectif et d’appeler à l’aide en cas de besoin.
  3. Définir le plan d’actions à la place du collaborateur. C’est la meilleure manière de le déresponsabiliser, de lui couper les ailes de la créativité et de se décrédibiliser car, en tant qu’expert, le collaborateur en sait certainement autant que le manager, si pas plus.
  4. Ne pas respecter la systématique des réunions de suivi. C’est la meilleure manière de montrer son manque d’intérêt par rapport au projet et son manque de soutien envers le collaborateur. Si d’aventure une réunion prévue doit être déplacée, ce n’est pas grave : on programme une nouvelle date.
  5. Un manque de patience. Beaucoup de managers souhaitent aller vite et sont enclin à passer certaines étapes. Il rate une occasion de choix de permettre à son collaborateur de faire preuve d’initiatives et de s’approprier les actions à mener. Il est plus efficace de poser des questions pour amener le collaborateur à développer sa solution.
  6. Penser que la démarche ne fonctionne qu’avec un collaborateur expérimenté. S’il est vrai que la démarche ira plus vite avec un expert, elle reste applicable également avec un collaborateur junior. La différence est qu’il faudra consacrer plus de temps, que le collaborateur aura plus d’incertitude mais le manager dispose d’une occasion unique de le former par la pratique.
  7. Imaginer que le rôle du manager est de définir les solutions. C’était valable il y a 50 ans. Ce ne l’est plus actuellement parce que les gens sont plus et mieux formés. L’accès à l’information s’est popularisé. Leur expérience se développe et s’enrichit plus rapidement. Mais certains collaborateurs peuvent attendre de leur chef qu’il définisse ce qu’il y a à faire. Dans ce cas, la meilleure réaction à avoir est de leur répondre : « Que me proposes-tu ? ». Ce n’est que lorsqu’il y a clairement un appel à l’aide que l’on proposera la marche à suivre, pas sans avoir au préalable suscité l’initiative de son collaborateur.

Les avantages de la méthode

Ils sont nombreux et rapidement visibles :

  1. Un gain de temps pour le manager qui peut se consacrer à d’autres activités.
  2. Une motivation du collaborateur qui ressent rapidement qu’on lui fait confiance.
  3. Un développement des compétences du collaborateur qui, par une démarche d’essais-erreurs encadrée, apprend énormément.
  4. Les solutions qui se mettent en place d’elles-mêmes puisque c’est le collaborateur qui les a définies.
  5. Des solutions beaucoup plus créatives et davantage d’innovations.

En conclusion

Appliquer cette démarche de délégation est ce que j’appelle être un manager paresseux … mais intelligent ! Paresseux parce qu’il ne passe plus la majeure partie de son temps à définir ce qui doit être fait. Intelligent parce qu’il doit prendre le temps de définir le cadre d’action, le contextualiser, se poser les questions de sens. Grâce à cela, il peut devenir stratège et penser à l’avenir.

Pour conclure, voici la démarche représentée sous forme de schéma :

 

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