Le développement d’une organisation passe par une succession de périodes de croissance et de crise. Si les crises sont généralement des moments douloureux et sont vécues avec difficultés, c’est parce que processus est mal connu et donc rarement anticipé. Sa méconnaissance peut conduire certaines organisations à la catastrophe parce que les crises seront décryptées de manière erronées et les actions prises inadaptées.
Greiner, Churchill et Lewis ont développé une grille d’analyse qui permet de synthétiser les phases de développement de l’organisation :
La grille tient compte, en autres, de deux paramètres : l’âge relatif de l’organisation et sa taille relative. Ces paramètres sont relatifs dans la mesure où il faut les évaluer dans le contexte de l’organisation et de son secteur d’activité. Ainsi, l’âge ou la taille d’une organisation dans le secteur des télécom ou de l’économie participative ne peuvent être comparés avec ceux d’une entreprise sidérurgique par exemple.
A ses début, l’organisation est constituée suite à une idée (phase de créativité). On observe une forte motivation des acteurs – peu nombreux. En se développant, vient un moment où les créateurs doivent se positionner de manière différente : ils ne sont plus ceux qui font l’entreprise et ce qu’elle produit mais ceux qui donnent l’orientation à l’ensemble de l’équipe. Ils doivent se positionner comme moteur du développement (phase de leadership). Cette période est généralement difficile à gérer pour le(s) fondateur(s) car il(s) doi(ven)t prendre du recul par rapport à la production de l’organisation et définir les orientations qu’ils souhaitent lui donner. Nombreux sont les créateurs qui quittent l’organisation lors de cette crise car leur rôle de management et de leadership ne répond pas à leurs aspirations.
La clarification des orientations (phase de Direction) permet à l’organisation de retrouver une certaine stabilité et d’apaiser son entourage mais vient ensuite – toujours en grandissant – un moment où les collaborateurs demandent à pouvoir disposer d’une marge d’autonomie (phase d’Autonomie). C’est la phase de “lâcher prise” de la Direction vers les collaborateurs. Cette période est souvent liée à l’apparition ou au renforcement de niveaux hiérarchiques dans l’organisation. Cette crise sera résolue par la délégation (phase de Délégation) vers les acteurs de terrain qui leur permettra de prendre des initiatives et de trouver une zone de d’épanouissement.
Mais vient un moment – l’organisation continuant à grandir – où il devient difficile de s’assurer que toutes les initiatives vont dans la bonne direction : certaines se télescopent ou se chevauchent, d’autres s’annulent ou auraient dû être prises. Une forme de désorganisation règne et les conflits apparaissent. Pour solutionner le problème, des procédures sont édictées, des mécanismes décisionnels se mettent en place parmi d’autres mesures de contrôle (phase de Contrôle). Si le contrôle est nécessaire et permet d’éviter des erreurs, trop de contrôle peut inhiber la prise d’initiatives et ramène les acteurs de terrain à un rôle de purs exécutants. Le défi est de permettre une zone d’autonomie sans que cela ne (re)devienne ingérable. La solution : la coordination (phase de Coordination). Les acteurs disposent d’une marge de liberté et d’initiative qui s’inscrit dans un ensemble. Le bon positionnement étant assuré par la coordination de l’ensemble. L’organisation devient un puzzle dans lequel chacun est responsable d’une pièce et la coordination s’assure que chaque pièce est à la bonne place.
Sauf que l’organisation est devenue très grande, il n’est pas impossible que son activité soit menée en différents endroits voire même sur différents continents. La coordination est devenue un facteur clé de succès mais devient également de plus en plus complexe, ce qui peut conduire à une perte de vision d’ensemble. Les acteurs se posent des questions sur la finalité de ce qu’ils font, ce qu’ils sont dans une organisation aussi grande et impersonnelle, dans laquelle le sens, la finalité peuvent être questionnables (phase de saturation psychologique).
Cette description est évidemment une synthèse rapide et extrêmement simplifiée du développement réel des organisations. Dans la pratique, les choses sont plus complexes et peuvent mettre des dizaines d’années pour se concrétiser. Toutes les phases n’apparaissent pas forcément parce qu’elles ont été anticipées consciemment ou non. La plupart des organisations n’arrivent pas jusqu’à la saturation psychologique et c’est heureux. Cela ne veut pas dire que les crises qu’elles vivent n’ont pas, dans certains cas, un impact négatif fort (on peut penser au burn-out ou au bore-out). La succession de crise et de période de développement peut souvent donner le sentiment de répétition.
Le grand intérêt de ce schéma est qu’il nous permet de comprendre un processus évolutif, somme toute très logique, mais surtout d’anticiper les phases de crises et de mettre en place des actions préventives. Les organisations qui le font évitent des problèmes organisationnels et humains importants et, donc se protègent. Elles se développent également plus rapidement et évitent des coûts réels ou cachés, ce qui n’est pas négligeable.