Il est de bon ton de parler de productivité. A tous les niveaux: de l’économie en général, d’une région, d’un secteur ou d’une entreprise. Mais sait-on exactement de quoi on parle ?
La productivité: une image négative
La plupart du temps, la productivité a mauvaise presse: elle est associée à une réduction des coûts et au licenciement.
Je me souviens de cette anecdote que j’ai vécue avec une personne qui me demandait ce que je faisais professionnellement. Lorsque je lui dit que je travaillais dans la productivité, elle m’a regardé épouvantée en disant : « tu vires du monde alors ! ». Cette personne est loin d’être la dernière des idiotes. Elle est docteur en sciences, travaille dans une multinationale bien connue et fait partie du management de son entreprise. Elle a juste exprimé une perception et un a priori liés au concept de productivité.
En se penchant davantage sur la matière, on se rend compte qu’un amalgame est fait entre productivité, rentabilité et compétitivité. Or, si ces concepts naviguent dans les mêmes eaux, ils ne sont pas du même tonneau ! Essayons de clarifier les choses.
La genèse de la productivité
Le terme productivité a fait son apparition dans les dictionnaires à la seconde moitié du 19ème siècle. On la considérait alors comme la “faculté de produire”. On est en pleine révolution industrielle, l’industrie doit se structurer et s’organiser.
Il faudra attendre encore quelques années pour que la définition se précise pour devenir la “faculté de produire, de mener en avant, de faire avancer”. Cette nouvelle conception met en avant une dimension intéressante : celle de produire mieux.
Ce n’est qu’au début du 20ème siècle que les économistes vont préciser le concept en mettant en avant la notion de rapport entre produits et facteurs. Ils introduisent ainsi la notion de mesure. A partir de ce moment, la productivité n’est plus une faculté mais bien un résultat.
La notion de productivité prendra sa pleine “gloire” en étant assimilée à l’organisation scientifique du travail développée par Frederick Winslow Taylor et son industrialisation avec Ford. Soyons clair : ces concepts, quoi que décriés actuellement, restent encore bien présents dans l’économie qu’il s’agisse de l’industrie ou des services. Il faudra attendre les années 1950 pour voir apparaître, à travers l’OECE (Organisation Européenne de Coopération Economique créée à la fin de la seconde guerre mondiale en support du plan Marshall; ancêtre de l’OCDE), les notions de productivité du travail, du capital, des investissements, de matières premières, etc.
La productivité: définition de base
Dans sa forme directe, la productivité est le rapport entre :
Cette définition n’a d’intérêt que par sa notion d’évolution.
En effet, la valeur de la productivité n’a de sens que si elle peut être comparée dans le temps. On s’attachera à son évolution dans le temps et dans un contexte déterminé pour une même organisation. On peut également la considérer comme moyen de comparaison à un même moment pour des activités identiques.
Dans le premier cas, on se situera dans le cas de figure d’un service ou un département qui suit l’évolution de sa propre productivité. Dans le second cas, on évalue l’évolution de la productivité de deux départements similaires.
Dans le premier cas de figure, l’intérêt est de mesurer les améliorations que l’on apporte au mode de fonctionnement de sa propre organisation. Dans le second, on s’intéresse à une comparaison de modes de fonctionnement de deux entités différentes mais comparables ou exerçant une activité similaire. On procède donc dans ce dernier cas à un benchmark qui permet de mettre en avant des pratiques plus efficaces (notion de “best practices”) pour autant que la manière de mesurer les choses soit identique dans tous les cas.
L’intérêt d’un tel exercice dans un cas comme dans l’autre, est de mesurer l’accroissement de la productivité et donc de l’utilisation la plus efficace de l’ensemble des ressources disponibles en vue de produire le plus de richesse possible au coût réel le plus faible.
Agir selon une certaine éthique
Très bien direz-vous, mais reste à définir comment mesurer les choses et préciser ce que l’on entend par produire le plus de richesse possible, surtout au coût le plus faible.
Si la mesure de la productivité peut être définie de manière précise, il y a une question fondamentale derrière la remarque : que faire des gains de productivité réalisés ? Réduire les effectifs, investir dans le développement de l’entreprise ? Rémunérer les actionnaires ?
La réponse à la question se trouve dans l’entreprise même et ses valeurs. Une entreprise dans laquelle les collaborateurs sont importants investira ses gains … dans les collaborateurs en les formant par exemple. Celle qui mettra en avant des coûts particulièrement bas prendra d’autres actions. Celle dont la survie est menacée risque d’être tentée par une réduction des effectifs.
Recadrer l’action sur la vraie notion
Considérant les différentes notions de productivité (travail, capital, investissement, matières premières, etc), il est important de rester très prudent dans l’interprétation des résultats dans la mesure où une amélioration de la production d’une machine peut être due à des facteurs externes à la machine elle-même.
Opérateur plus qualifié, revue de l’organisation, changement de l’huile, etc sont autant d’éléments pouvant influencer la production. Doit-on dans ce cas considérer qu’il s’agit d’une augmentation de la productivité du travail, du rendement ou du capital ?
Difficile à dire dans la mesure où plusieurs éléments contribuent à cette amélioration. Par contre, il est clair qu’il y a une amélioration de la production.
Le risque est donc grand d’attribuer à un facteur de production les honneurs de l’amélioration de la productivité alors que sa contribution a été limitée, voir nulle.
C’est la raison pour laquelle nous préférons parler de productivité globale des facteurs.
En raisonnant de la sorte, la productivité mesure l’évolution du comportement interne de l’entreprise. Elle représente alors ainsi un indicateur de problème caché interne à l’entreprise. Mieux, son évolution – positive ou négative – est influencée par la manière dont tous les composants de l’entreprise ont été efficacement utilisés.
Productivité globale
Il est donc difficile d’attribuer à un seul facteur les bienfaits d’une amélioration de la productivité.
Ceux qui prétendent que l’amélioration de la productivité passe par une plus grande mécanisation considèrent l’organisation comme une énorme machine. Cette vision très “ingénieure” est contrecarrée par le point de vue “humaniste” considérant que sans l’action efficace des collaborateurs, les machines – et l’entreprise – ne peuvent fonctionner correctement.
Les uns et les autres ont à la fois raison et tort. La productivité ne peut s’améliorer que s’il y a coordination efficace de l’ensemble des facteurs de production. Dans ce contexte, il faut trouver l’équilibre entre l’ensemble des facteurs utilisés. C’est pourquoi les processus de l’entreprise (production, vente, achats, RH, financiers, etc) doivent être continuellement coordonné, adapté, repensé, optimisé.
Et le client dans tout cela ?
Un élément doit être intégré dans le raisonnement : le positionnement du client et la manière dont l’entreprise répond à ses besoins.
Effectivement, si l’entreprise est efficace dans la production technique – avec un niveau de productivité technique élevé donc – mais que sa production ne répond pas aux besoins du client, peut-on considérer qu’elle est productive. Certes, mais pas efficiente.
Par conséquent, la productivité doit également intégrer d’une manière ou d’une autre les dimensions liées à la satisfaction des clients au travers de la prise en compte de leurs besoins.
C’est l’intégration qualité et productivité qui permettra de conduire l’entreprise à l’efficience. Fabriquer des peignes destinés au marché des chauves n’a pas de sens quand bien même la manière de les fabriquer est extraordinairement productive. Au final, on ne vendra aucun des produits fabriqués.
Pour synthétiser les choses
Compte tenu de ce que nous venons de dire, il est important de considérer les éléments suivants :
- La productivité n’a d’intérêt que dans son évolution : c’est la tendance et non le chiffre qui a de l’importance.
- Cette tendance est l’indicateur de problème caché du fonctionnement interne de l’entreprise.
- La réduction des problèmes cachés dans l’entreprise a un impact sur sa rentabilité.
- L’amélioration de la productivité concerne tous les acteurs de l’entreprise.
- L’amélioration de la productivité doit être liée à la manière dont l’entreprise répond aux besoins de ses clients.
Productivité vs rendement
Le rendement d’un facteur de production, quel qu’il soit, fait référence à une norme par rapport à laquelle ce facteur de production est mesuré. On parlera de rendement d’une machine, d’un projet ou du capital.
Par exemple, la production d’une machine dont les prescriptions techniques définies par le fournisseur est de 100 pièces à l’heure sera mesurée selon cet étalon qui constitue la norme. Si elle produit 80 pièces à l’heure, on dira que son rendement est de 80 % (80 pièces produites par rapport au 100 pièces de la norme).
La distinction entre productivité et rendement réside en ceci que :
Contrairement au rendement, la productivité ne se fonde pas sur la comparaison entre des données de même nature (par exemple le temps passé par rapport au temps alloué, le nombre de pièces produites par rapport au nombre de pièces prévues, le nombre de litres consommés par rapport au nombre de litres alloués, etc).
Le rendement ne concerne qu’un seul facteur de production à la fois alors que la productivité concerne l’ensemble des facteurs combinés de l’entreprise.
L’accroissement de la productivité fait référence à l’ensemble des rendements associés. C’est là que les deux notions trouvent un terrain commun.
Productivité vs compétitivité
L’OCDE a défini la compétitivité comme étant “la latitude dont dispose un pays évoluant dans des conditions de marché libre et équitable pour produire des biens et services qui satisfont aux normes internationales du marché tout en maintenant et en augmentant simultanément les revenus réels de ses habitants dans le long terme”.
La compétitivité se distingue de la productivité en ce sens qu’elle se positionne à un niveau supérieur – macroéconomique – à cette dernière. On ne se situe plus au niveau des facteurs internes à l’entreprise mais au-delà.
Dans ce cas de figure, niveau d’investissements en R&D régional ou national, niveau d’imposition, soutien étatique, coût du capital, écarts de change, capacité d’innovation, structure d’imposition sont autant d’éléments contributeur de la compétitivité. La plupart d’entre eux échappent à l’action de l’entreprise.
Ainsi donc si :
- La productivité se positionne par rapport à une référence interne à l’entreprise, la compétitivité intègre des éléments externes dont l’entreprise n’a pas la maîtrise.
- La productivité va s’employer à neutraliser les influences externes comme l’évolution du coût des matières, des salaires, etc, alors que la compétitivité les prend en considération.
En fin de compte…
Partant de ces clarifications, l’intérêt de se pencher sur la productivité est qu’il est possible d’avoir une indication claire du comportement interne de l’entreprise.
Elle permet donc de montrer tant ce qui s’améliore et ce qui peut encore l’être.
Toutes les dimensions d’action et d’amélioration dépendent uniquement de la productivité et d’aucun autre facteur, contrairement à la compétitivité. C’est là que résident son intérêt et sa valeur ajoutée.
Nous aurons l’occasion de développer les différents concepts et leur mise en place dans nos prochains articles.
Ces clarifications vous ont-elles été utiles ? N’hésitez pas à me le faire savoir en me laissant un commentaire.
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